jeudi 18 septembre 2008

L'école de la vie

Et nous ne voulions pas vieillir. Hélas, trop d'ennemis attaquent l'enfance: un sabre de bois est impuissant à les repousser tous.

-Félix Leclerc, Pieds nus dans l'aube

Nous nous rapprochons de l'école Livia Lamoure dans le quartier ACI 2000 (on croirait un nom de quartier dans Starmania). Marie-Hélène Veye, la propriétaire doit nous attendre avant 13 h. Modibo, notre compagnon qui nous conduit, semble savoir où il va naviguant dans cette toile informe de rues sans nom. Le goudron, large trait noir sur cette terre rouge malienne, se faufile entre les centaines de rues non pavées où l'eau sanguine, les trous béants, les enfants pieds nus et les chèvres sont autant de repères que d'obstacles. Les murs crèmes de la palissade de l'école apparaissent devant nous. L'école, enrubannée à l'intérieur de cette palissade haute d'environ 2 mètres repose au centre. Les gardiens sont à la porte et nous invitent à entrer. Deux marches nous amène sur la large et profonde galerie de tuiles et nous entrons à l'intérieur. Des ventilos nous permettent de supporter la chaleur humide dans le hall. À gauche et à droite, deux hommes assis à leur petit bureau, derrière un écran et Marie-Hélène, là devant nous, grande, géante, dans une longue robe luxuriante comme un jardin anglais. Sympatique, elle nous tend la main et nous invite dans le bureau. Les ventilos du plafond qui n'en finissent plus de tourner et de mélanger la chaleur provoquent la nausée. À l'instant, ce n'est plus Audrey que je vois près de moi, c'est moi. Projeté dans son petit corps, j'ai le vertige, les odeurs me figent et ma vision est floue. Je me parle mais je ne veux rien entendre. Je me tourne vers la fée et fais une seconde tentative. Oufff! Me revoilà, l'adulte, mais pas rassuré pour autant. Suite aux dizaines de questions et réponses, nous partons visiter les classes, la cantine et la salle de repos. Des femmes cuisinent à l'extérieur dans d'immenses chaudrons. Le bâtiment de l'école est au centre de la court. Chaque porte donne à l'extérieur et malgré les 90 élèves, un silence règne. Dès que nous nous pointons le nez dans chacune des classes, tous et toutes se lèvent prestement. Le maître vient nous serrer la main et je ne peux que fixer incessamment la fée pour l'observer. Plus nous avançons, plus son visage semble s'apaiser. Elle nous regarde avec un sourire. Deux petits mots sortent de sa bouche: ''j'ai hâte!'' et mon coeur se remet à battre. Audrey ira à l'école ici dans ce lieu parmi les 90 élèves, la seule petite fée blanche. Nous tirons la porte de la dernière classe et un chant s'élève de la bouche de tous ces enfants debouts devant leur pupitre et j'ai, là enfin, la conviction que je ne participe pas à LA trahison. Nous quittons la place et malgré un sentiment de soulagement, je me demande tout de même silencieusement si je ne deviens pas complice de toute cette discipline, ces pupitres alignés, ces leçons de par coeur qui grignotent lentement l'enfance. Ah la vie de papa n'est pas si simple!

lundi 15 septembre 2008

Papa y a un lézard dans le bain!


Les vastes yeux bleus de fée Audrey Carabosse et les cris de joie font écho dans la salle de bain. ''Papa viens voir, viens voir''. Un co-locataire au sang froid et à la peau orangée se déplace à haute vitesse dans le fond de la baignoire. Je me dis alors que la fée doit sûrement songer qu'elle fait partie d'un conte, que la réalité dépasse la fiction. Je vais me souvenir toute ma vie de l'immensité de ses yeux lorsque nous sommes sortis à l'extérieur de l'aéroport de Bamako mardi dernier. Un attroupement de maliens attendait les voyageurs à l'extérieur et, en se faufilant au travers accrochée à ma main, la minuscule fée accusait cette nouvelle réalité avec un regard perplexe. Tous ces gens voulant aider en même temps, les nouvelles odeurs, la chaleur humide, la noirceur et Audrey au yeux de sommeil qui déjà devait faire face à cette nouvelle vie qu'allait être la sienne pour la prochaine année. Une heure plus tard, à l'arrrivée d'Alassane, le directeur du CECI ici à Bamako, Audrey blottie entre Christine et moi a demandé, avec la fatigue dans sa voix, à retourner à la maison voir son petit chien Koonick. J'ai su alors qu'un coeur de papa peut se tordre comme un vieux torchon qu'on lance ensuite dans un coin. Nous avons donc traversé une partie de Bamako vers 4 h du matin en direction de notre hôtel avec la fée qui troquait la réalité contre une poignée de sable au marchand du coin. Le lendemain, après une nuit de dodo interminable, la fée m'a accompagné sur le toit brûlant de notre chambre. Dans cette clarté étincelante, les premières images de Bamako s'invitaient lentement dans les petits planètes bleus de fée Carabosse. Nul besoin d'ajouter que Bamako devenait la plus belle ville du monde dans ce petit regard. J'ai su à cette instant que la fée allait s'y faire et qu'elle allait m'offrir ma première leçon d'adaptation.
Christian

vendredi 12 septembre 2008

3 jours à Bamako




Les yeux ne peuvent capter qu'en partie ce que Bamako a à nous livrer, le coeur lui ne fait que son travail soit de saisir l'essentiel. Peut-on parler de pauvreté lorsque l'on fait la rencontre de dizaines et de dizaines de mendiants par jour qui, lorsqu'on leur dit ''Non merci, une prochaine fois'', vous regardent dans les yeux, vous tendent la main en vous disant ''Inshallah'' ou ''Si le Dieu le veut''? Peut-on encore parler de pauvreté lorsqu'un homme, Chaka Cissé pour ne pas le nommer, vous offre son aide pour déménager et entreposer les meubles, chercher pour nous un appartement, un quartier, une école, nous trouver des cellulaires, tout ça dans le même 24h!!! Pourquoi? Parce que, selon Chaka, la générosité attire la générosité, la bonté attire la bonté et Dieu le veut ainsi, voilà tout! Bien sûr, les gens n'ont pas d'eau potable aisément, le système d'éducation semble faire défaut, l'énergie est rare pour la cuisson des aliments et le système de santé est précaire mais l'essentiel est là je vous le jure. Les sourires à la tonne, les salutations incessantes dans les rues avec des yeux qui percent la vie et l'entraide sans réserve sont des signes évidents que ce peuple possède bien plus qu'il n'en faut pour vivre, le reste viendra.

Christian